De la bricologie
Dans l’esprit d’un hypothétique lecteur, les neurones du livre font-ils synapses avec les yeux ?
Sartre a dit : L’existence précède l’essence. (Sans marges pour la justifier, cette citation est donc oraculaire.) Maintenant qu’il est rentré dans un livre, une fois ouvert en deux comme une noix le philosophe, apparaissent les côtes de ses pages. Est-ce d’un cœur palpitant que je lui fouille à fond le nombril cognitif ?
Tout d’abord, signalons que Le Collant estime que l’exposition de la Villa Arson (« Bricologie : La Souris et le perroquet » du 15 février au 31 août 2015) était dénuée de tout esprit de sérieux et partant qu’elle désactive – en amont et en aval de ses multiples implications – la dimension euristique du concept de bricologie.
Sans mise en critique de la technique, ce concept restreint nous apparaît en effet suggestif et partant identique ou peu s’en faut à celui d’autofiction, qui agite ainsi qu’un hochet dans les champs de la fiction et de la biographie l’ambition de succéder sinon aux recherches et expérimentations du Nouveau roman, à une certaine littérature engagée : disons des hussards d’après 1945 au Sartre de 1968.
Précisément, du temps où le compagnon de Léa, Alex (édition de sept. 2014 de La Digue du marégraphe, de Zuria Bustingorri), y était élève-étudiant, c’est à la Villa Arson que le concept de bricologie a émergé, notamment avec l’historien d’art et professeur Thomas Golsenne.
Or, c’est dès l’automne 2014 que le rapport à la technique – et ses implications diverses : écologiques et sociales, économiques et politiques – avait été publié sur le site de PasPAR4, http://antecimaise.org/. (Pour information : Sortie papier le 31 janvier 20l6 du n° 64 de la revue Technique & Culture, Essai de bricologie, Ethnologie de l’art et du design.)
Par ailleurs, entre le casque de la technique relevé sur le front d’Athéna (la « souris » verte ou la fonction de « transparence » des composants électroniques et des cartes informatiques : le verre ou le sel chez Anselm Kiefer, la lucidité chez Martin Heidegger, Günter Anders, André Leroi Gourhan, Bertrand Gille, Jean-François Lyotard, Gilbert Simondon, Gilbert Hottois, Bruno Latour, Bernard Stiegler) et l’un des visages originaires de la sculpture (le « perroquet » achromatique ou la matérialité des bois flottés, en tant que contenants formels ; également celle des châssis pour âtre-croisée versus écran-photo), c’est ironiquement gainé d’un code-barres qu’est traversé ce miroir qui reflète avec le motif et les arts le référent d’un signifiant et, au-delà, segments montés en boucle au moyen de trois accroche-cœur, l’épissure de nos européens torons : Méduse, Euryale et Sthéno… (« Les deux éléments verre pour les yeux, texte pour l’oreille et l’entendement devaient se compléter et surtout s’empêcher l’un l’autre de prendre une forme esthético-plastique ou littéraire. » Lettre de Marcel Duchamp à Jean Suquet, 25 déc. 1949, in Miroir de la Mariée.)
Signalons enfin qu’Alex, en tant que boîte à outils conceptuels, est semblable à une épochè husserlienne : il est également absent, sans fixation intrinsèque, essentiellement mobile alors même qu’il interroge, ouvre et paraît poser question. Ce questionnement, qui est mise à distance, ou encore à l’écart, a même les qualités d’un repliement sur soi, qui n’est point qu’approfondissement, mais creusement d’un en-soi.
Entre ethnologie de l’art et histoire de la technique, PasPAR4 est donc en cheminement linéaire autant qu’en rotation synodique : c’est en effet une manière de danse en équilibre sur un fil conducteur que la démarche artistique du Collant (des lentes apomorphies aux sylves intertidales) qui n’est pas la seule illustration possible du mythe de Noé, fut-il revisité par Roger Caillois…
Merci de votre attention.
Pour Le Collant,
Zuria et Pascal